LES CO-BÉNÉFICES DU FRET FERROVIAIRE : Éléments d’évaluation et propositions
La sortie de crise combinée aux enjeux de long terme – autonomie stratégique, protection de l’environnement, lutte contre le changement climatique, sécurité. sanitaire – impose d’optimiser chaque euro public engagé, en cherchant à produire le maximum d’effets positifs pour la société, qu’ils soient économiques mais aussi environnementaux et sanitaires.
Avec une part modale de 9%, très faible comparée à nos voisins européens et divisée par deux en 30 ans, le développement du fret ferroviaire en France constitue un vecteur puissant d’une telle politique, dans la mesure où il représente de trois à quatre fois moins d’externalités négatives comparativement au transport routier.
Regroupés au sein de l’alliance « Fret Ferroviaire Français pour le Futur » (4F), les acteurs de la filière estiment possible de doubler la part modale du fret ferroviaire à horizon 2030. La réalisation de cet objectif passe par l’amélioration de la compétitivité des opérateurs, un investissement additionnel dans l’infrastructure, estimé à environ 13 Mds € (dont une partie a également vocation à bénéficier au transport de voyageurs) et des mesures de soutien public renforcées, à hauteur de 200 M€ supplémentaires par an.
Dans ce contexte, le présent rapport, réalisé par Benoît Thirion (partner chez Altermind) et Patrice Geoffron (professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine – PSL), à la demande et pour le compte de 4F, identifie et évalue les « co-bénéfices » qui peuvent être attendus d’une augmentation de la part modale du fret ferroviaire et propose des pistes d’optimisation de ces derniers. Il s’agit ici d’apporter des éléments d’appréciation de nature à contribuer à la réflexion et à la décision publique.
Les bénéfices économiques du fret ferroviaire
Le développement du fret ferroviaire aurait un impact sur la croissance, par le biais de mécanismes économiques bien établis. À court terme, les investissements dans le réseau et, le cas échéant, le matériel roulant créent de l’activité et de l’emploi, avec des effets d’abord localisés et sectoriels, mais qui peuvent s’étendre au niveau national par le jeu du multiplicateur budgétaire. À plus long terme, l’amélioration du fret ferroviaire augmente la productivité globale des facteurs, grâce notamment à la diminution du temps de transports des marchandises, l’amélioration de la fiabilité ou encore des effets d’agglomération au niveau local.
Représentant aujourd’hui 22 000 emplois, la croissance du fret ferroviaire contribuerait également à la création d’emplois dans la filière ferroviaire (opérateurs de fret mais aussi constructeurs d’équipements ferroviaires et entreprises de travaux ferroviaires), avec un ancrage local fort. Elle ne dégraderait pas nécessairement l’emploi dans le secteur routier français, en créant de nouveaux besoins de pré et post-acheminement (moins soumis à la concurrence internationale) et en participant d’une amélioration de la qualité des emplois. En tout état de cause, compte tenu des anticipations de trafic (+2%/an d’ici 2030), un doublement de la part modale du fret ferroviaire consiste à ce que le fer capte 2/3 de la croissance future et la route 1/3 environ.
Il est essentiel d’avoir à l’esprit que ces effets macroéconomiques seraient rehaussés dans le contexte économique actuel, marquée par une récession sans précédent depuis un siècle. Structurant pour l’industrie, le fret ferroviaire conditionne la réussite de la stratégie de relocalisations industrielles qui émerge après la crise : en cas de sous-investissement, un « déficit » de fret ferroviaire induirait des coûts majeurs pour la France et ses voisins européens. Le fret ferroviaire – qui présente l’atout très différenciant en Europe . low carbon native . – constitue un levier majeur dans la stratégie de neutralité carbone adoptée par les états et par de plus en plus de grands groupes industriels.
Les bénéfices environnementaux et sanitaires du fret ferroviaire
Un doublement de la part modale du fret ferroviaire en France d’ici 2030 est subordonné à la réunion de très nombreuses conditions, pour contrecarrer son érosion, jamais inversée, depuis le début de ce siècle. Parmi ces conditions, un investissement dans l’infrastructure, estimé à environ 13 Mds € par SNCF Réseau, sera nécessaire, mais non suffisante per se, pour entrevoir un rebond progressif de la part modale du rail dans le transport de fret.
Compte tenu de l’importance d’un tel investissement, au sortir d’une crise inédite par sa nature et ses répercussions, l’appréciation de sa pertinence doit nécessairement prendre en compte tous ses effets, y compris, au-delà du multiplicateur de l’investissement public sur l’activité et l’emploi locaux, les bénéfices environnementaux et sanitaires.
À cette fin, dans le cadre d’une démarche de co-construction avec les équipes de Transport Ferroviaire et Multimodal de Marchandises (TFMM) et 4F, le présent rapport développe différents scénarios qui tendent à montrer que cet investissement, accompagnant un doublement de la part modale du fret ferroviaire d’ici 2030, permettrait :
- D’éviter entre 16 et 30 Mds € d’externalités négatives sur la période 2021-2040 (bruit, congestion, CO2, pollutions de l’air, accidents, …) ;
- Avec une année pivot (i.e. présentant des externalités négatives évitées au moins égales à 13 Mds €) située entre 2033 et 2037.
Même si l’investissement dans une infrastructure ne se détermine pas uniquement en fonction de ce type de bénéfices, il nous est apparu que, dans le contexte actuel (et au sortir d’une Convention Citoyenne pour le Climat qui a plébiscité l’objectif du doublement de la part modale du fret ferroviaire), focaliser l’attention sur cette dimension constituait une orientation utile au débat public.
Notons qu’un tel résultat n’est pas fondamentalement remis en cause en fonction de « futurs » qui pourraient être caractérisés par une récession durable ou différents types de politiques publiques favorisant des relocalisations industrielles (augmentant les flux de fret) ou des circuits courts (tendant à les réduire).
De même, il nous est apparu que les progrès techniques relatifs du rail et de la route n’étaient pas susceptibles de remettre foncièrement ces résultats en question sur la période considérée, sans négliger que des ruptures pourraient être amorcées (par exemple via l’hydrogène) dans le transport routier, à mesure de l’avancement dans la décennie 2030.
L’optimisation des co-bénéfices du fret ferroviaire
Pour que les bénéfices économiques, environnementaux et sanitaires du fret ferroviaire se réalisent, les pouvoirs publics ont un rôle essentiel, dans le cadre d’une politique des transports associant tous les niveaux de gouvernance : l’état, dans un cadre interministériel, mais aussi, plus qu’aujourd’hui, l’Union européenne et les collectivités territoriales, en particulier les régions. Il s’agit, dans le cadre d’une stratégie multimodale, de jouer sur les complémentarités socio-économiques entre les modes de fret et en aucun cas de les opposer.
Dans une logique de co-bénéfices, le développement du fret ferroviaire passe par une internalisation des externalités négatives qu’il permet d’éviter par rapport aux autres modes de fret, relevant de trois leviers principaux :
- La mise en place d’un nouveau modèle économique pour la gestion du réseau, en appliquant une surcote aux trains de fret, prise en charge par l’état, assurant la prise en compte des externalités évitées par le fret ferroviaire dans la prise de décision ;
- L’augmentation de certaines subventions en faveur du fret ferroviaire, dans le cadre d’un régime d’aides d’état revu à l’aune des co-bénéfices (cf. les propositions élaborées par ailleurs par 4F) ;
- La réglementation, qu’il s’agisse (i) de la réglementation des transports, avec la mise en place d’une dérogation de circulation pour les 46 tonnes pour les pré- et post-acheminements en transport combiné, (ii) de celle de à « l’achat responsable » incitant les entreprises, les administrations et les consommateurs à privilégier les modes de fret les plus propres, et (iii) de celle de la finance verte, passant par l’introduction de mécanismes incitatifs liées aux pollutions évitées.
Une taxation des externalités négatives doit exclure le recours à un dispositif général de type écotaxe et ne peut être envisagée que dans des conditions garantissant son acceptabilité politique et sociale.
L’échelon européen semble pertinent pour envisager et discuter certaines pistes de travail, comme la mise en place d’un prix plancher du carbone.
Le financement d’une telle politique devrait passer par des ressources publiques diversifiées, faisant appel en particulier aux budgets européens, dans le contexte de la relance et du Green Deal, et régionaux, compte tenu des impacts positifs du fret ferroviaire à ces deux niveaux. Le renforcement de la place du fret ferroviaire dans le dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE) et la mise en place de dispositifs similaires portant sur les pollutions (émissions de CO2, polluants atmosphériques) permettraient par ailleurs de financer le développement du fret ferroviaire à moindre coût pour les finances publiques.